Les Harpies et les Boréades, tornades et tourbillons aériens: les Îles Strophades et le mythe de Phinée dans la tradition grecque*

Harpies and Boreads, tornadoes and aerial whirlwinds: The Strophades Islands and the myth of Phineus in the Greek tradition

Gabriela Cursaru**
Université de Montréal

RÉSUMÉ: Les Strophades sont l’un de ces lieux qui, pénétrant dans l’imaginaire d’une culture, façonnent sa vision du monde. Ces îles sont entrées dans l’imaginaire cosmographique grec sous la forme d’un récit étiologique résultant de la transposition d’un mythe de châtiment divin (Phinée) dans un conflit mythique entre des puissances cosmiques «primitives» apparentées, mais opposées (Boréades vs. Harpies). Les motifs tourbillonnants/tournoyants associés aux tornades et aux phénomènes atmosphériques turbulents émaillent le récit de fondation de ces Îles du Retournement où les Boréades, à la poursuite des Harpies, ont fait demi-tour. L’analyse de ces motifs permettra de mieux comprendre comment, à l’époque alexandrine, lorsqu’on jette un regard nouveau sur le monde et on cherche à en redéfinir les contours, un mythe de poursuite aérienne tourne en aition et en mythe de fondation d’îles à dimension cosmologique.

Mots-clés: Harpies, Boréades, Phinée, Strophades, ἄελλαι/θύελλαι, vents, tourbillons aériens, ordre cosmique, justice divine, transposition mythique, ancien vs. nouveau.

ABSTRACT: The Strophades are one of those places that enter into the imagination of a culture and shape its vision of the world. These islands entered the Greek cosmographical world as an etiological myth resulting from the transposition of a myth of divine punishment (Phineus) into a mythical conflict between two related, yet opposite cosmic powers (Boreads vs. Harpies). The whirling winds, the swirling/spinning movements and patterns associated with tornadoes and other turbulent atmospheric phenomena play a prominent role in the foundation narrative of the Strophades, ‘Islands of Turning’ where the Boreads turned around. The careful analysis of these motifs will allow to better understand how, in the context of the Alexandrian poetry’s efforts to cast a new perspective on the world and to redefine its contours, a myth of aerial pursuit turns into an aition and into a nesiotic foundation myth with a cosmological dimension.

Keywords: Harpies, Boreads, Phineus, Strophades, ἄελλαι/θύελλαι, winds, aerial whirls, cosmic order, divine justice, mythical transposition, old vs. new.

 

* Cette étude a été réalisée dans le cadre des programmes de recherche «Transformaciones de los mitos griegos: parodia y racionalización» (Proyecto del Ministerio de Ciencia e Innovación, réf. PID2019-104998GB-I00) et Through the Vortex/ À travers le Vortex (Social Sciences and Humanities Research Council of Canada, Insight Project, no. 435-2018-0775, projet dirigé par L. Kozak [McGill University], P. Bonnechère et G. Cursaru [Université de Montréal]). Cet article sera suivi par deux autres (en préparation), consacrés à l’étude du même thème dans la poésie latine et dans l’iconographie.

 

 

 

** Correspondencia a / Correspondence to: Gabriela Cursaru, Université de Montréal. 33 Grove Ave, Madison (CT), USA – gabriela.cursaru@gmail.com – http://orcid.org/0000-0003-3458-8247.

Cómo citar / How to cite: Cursaru, Gabriela (2024), «Les Harpies et les Boréades, tornades et tourbillons aériens: les Îles Strophades et le mythe de Phinée dans la tradition grecque», Veleia, 41, -53. (Les Harpies et les Boréades, tornades et tourbillons aériens: les Îles Strophades et le mythe de Phinée dans la tradition grecque*).

Recibido: 06 junio 2023; aceptado: 30 octubre 2023.

ISSN 0213-2095 - eISSN 2444-3565 / © 2024 UPV/EHU

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Tout au long de la tradition littéraire grecque, seul le mythe de Phinée fait des Harpies ses protagonistes. Entités «primitives» issues des premières générations divines[1], les Harpies sont des figures ambiguës qui se détachent mal de leur substrat naturel, à savoir la force élémentaire des ἄελλαι/θύελλαι, les tornades. Les noms des Harpies hésiodiques, sœurs de l’Iris ἀελλόπος homérique[2], en témoignent: Ἀελλώ et Ὠκυπέτη, figures ailées μεταχρόνιαι qui «peuvent talonner les souffles des vents et des oiseaux, avec leurs ailes rapides»[3]. D’autres noms, suivant les versions, renvoient tous à la haute vitesse de leurs courses en vol: Ἀελλόπος, Νικοθόη et Ὠκυθόη, Ὠκυπέτη ou κυπόδη, Ποδάρκη ou Ποδάργη et Κελαινώ/Celæno[4]. Au nombre de deux ou trois[5], elles vivent ensemble en dehors de toute union matrimoniale[6], dans un antre aux Îles Strophades ou en Crète[7], en formant une dyade/triade traditionnelle dans le répertoire des figures divines mineures et proches des origines. On les trouve aussi gardiennes des pommes d’or au jardin des Hespérides[8], ou à la porte du Tartare[9]. Leur fonction a donc fluctué mais d’une façon logique à la plasticité du mythe.

Leur nature tempétueuse est bien attestée, en accord avec leurs noms, et leur ahurissante vitesse de déplacement devint un étalon insurpassable[10]: Atalante court telle une Harpie (ἣ δ’ αἶψ’ ὥσθ’ Ἅρπυια μετ[αχρονίοισι πόδεσσιν/ ἔμμαρψ’) et sa vitesse s’accorde avec la mobilité de son regard tournoyant (ἑλικώπιδα κούρην)[11]. Semblable à une déesse à «l’éclat des Grâces», elle fuit le mariage, et tous ses prétendants à la course sont étonnés de voir «la brise de Zéphyr agiter sa tunique autour de sa tendre poitrine» (πνοιὴ Ζεφύροιο χιτῶνα/ περὶ στήθεσσ’ ἁπαλοῖσι). Cette figure poétique circulaire/tournoyante rapporte le rythme vif de la course d’Atalante à celui d’une tornade. Les Sirènes «à la voix mélodieuse» sont qualifiées de «rossignols aux pieds de Harpies» (<ἁρπυιογούνων> τῶν σειρήνων <ἀήδόνων> διὰ τὸ εὔφωνον)[12], les deux groupes étant souvent confondus, dans l’art archaïque notamment[13]. Femmes ailées ou oiseaux à tête de f­emme[14], les Harpies sont des figures hybrides ou mixanthropes. Divin, humain et animal s’y mélangent. Leur corps (couvert de plumes ?) est pourvu d’ailes recourbées ou de bras humains et de pattes aux serres crochues[15], défiant les catégories conventionnelles. Elles souillent tout ce qu’elles touchent et répandent une odeur infâme[16].

Les Harpies empruntent aux ἄελλαι/θύελλαι une capacité de voler avec la pleine puissance des éléments, dans une δύναμις vorticielle apparentée aux impulsions spécifiques à la réalité cosmique primordiale encore peu différenciée. Dès Homère, Podargè, la seule Harpie de l’Iliade, s’unit à Zéphyr sous forme de jument et donne naissance aux chevaux divins d’Achille, Xanthos et Balios (Il. 16.149-151)[17], à moins que leur père divin ne soit Poséidon[18]. Ils ont été engendrés dans une prairie aux bords d’Océan, véritable réserve aux franges du monde et espace liminal névralgique des enlèvements mythiques et des unions divines par contrainte. Plusieurs mythèmes s’entremêlent ici, et dont nous cernerons plus loin le symbolisme associé aux Harpies et leur rôle auprès des Boréades dans le mythe étiologique des Îles Strophades:

 

i) le dieu-fleuve Océan ([grand]-père maternel des Harpies) a une position excentrique, au bord de la terre qu’il encercle d’un mouvement circulaire rapide et sans fin, animé de tourbillons[19]. Les Harpies en héritent la familiarité avec les extrémités cosmiques du monde[20] et la δύναμις tourbillonnante dans leurs traversées marines et dans leur course en vol autour de la terre, ou jusqu’à ses limites et au-delà; la fonction «normative» d’Océan est d’encercler la terre pour la contenir entre ses propres limites, et elle se retrouve chez les Harpies, figures justicières désordonnées et brutales, aux ordres de Zeus pour punir toute impiété susceptible de nuire à la justice divine et à l’ordre cosmique. Le nom des Ἅρπυιαι d’ailleurs vient de ἅρπη, qui désigne un oiseau agressif ou un vent violent[21]. Mais ἅρπη désigne aussi la serpe «primitive», premier objet inventé, premier objet inventé, dont Cronos mutile son père dans un geste brutal de justice rétributive face au désir d’Ouranos ἀτάσθαλος, et à conséquences cosmologiques (séparation du ciel et de la terre) dans un mythe de succession théo-cosmogonique[22];

ii) les motifs de l’union, en fait de la μίξις (figure vorticielle) entre deux êtres apparentés mais opposés: Zéphyr, vent directionnel (ἄνεμος), et Podargè, rafale sauvage «domptée» par l’union sexuelle. Leurs enfants, équidés divins, héritent de leurs traits: de leurs pieds légers, ils «volent comme les vents» (τὼ ἅμα πνοιῆισι πετέσθην, Il. 16.149) ou «de front avec le souffle de Zéphyr, le plus vite des vents» (νῶϊ δὲ καί κεν ἅμα πνοιῆι Ζεφύροιο θέοιμεν, Il. 19.415). Outre leur puissance, ces chevaux maîtrisent, de par le mouvement orienté spécifique à tout ἄνεμος, l’élément tant aérien que liquide[23]. En témoignent leurs noms: Xanthos[24] est le nom divin du dieu-fleuve homérique aux tourbillons profonds, fils de Zeus[25]; dans un fragment isolé, Balios désigne un des chiens d’Actéon[26]. Les Harpies sont elles-mêmes appelées «chiennes de Zeus»[27], expression qui renvoie à la rapidité de leur vol ou de leur course[28] et à leur rôle de justicières qui pourchassent ceux qui contreviennent aux lois cosmiques/divines;

iii) le nom de Ποδάργη renvoie à la rapidité et à l’éclat de ses pieds blancs[29], apparentés à la lumière foudroyante et à la flamme brûlante de l’éclair[30], à la brillance de l’air ou aux reflets de la lumière à la surface des ondes[31], car ἀργής, comme αἰόλος, terme polysémique lié à l’imagerie du vortex, qualifie autant la mobilité que la brillance[32]. Sophocle qualifie de καταρράκτης le vol tournoyant d’une Harpie ou d’un aigle (fr. 714 et 377 Radt), comme d’autres celui de l’oiseau qui fond sur sa proie[33], tel le cormoran, le faucon ou l’épervier ravisseur et/ou qui plane en tournoyant (κίρκου καταρρακτῆρος, Lyc. Alex. 169)[34]. Sophocle qualifie encore le seuil à la pente abrupte, c’est-à-dire le passage tournoyant des Enfers (ἐπεὶ δʼ ἀφῖκτο τὸν καταρράκτην ὀδόν, OC 1590)[35].

 

Leur vol à pleine δύναμις tourbillonnante fait des Harpies d’excellentes ravisseuses, voire les Ravisseuses. Comme les ἄελλαι/θύελλαι capables de soulever dans l’air des matières légères (poussiè­re ou brouillard)[36] en vertu de leur force cinétique tournoyante et de leur rotation spécifique, les Ἅρπυιαι sont inséparables des actes d’enlèvement (ἁρπάζω, ἀναρπάζω), insaisissables ou violents, toujours soudains et mystérieux. Ailées, surgissant de nulle part, elles transportent leurs victimes dans une tornade vers les confins de la terre et l’autre monde, ces espaces liminaux qu’elles apprécient, au registre chthonien et fatal. Ainsi, sans aucune nouvelle d’Ulysse, Télémaque l’imagine disparu ou ravi par les funestes Harpies (ἅρπυιαι ἀνηρείψαντο, Od. 1.241 = 14.371) sans laisser des traces, car «il s’est rendu dans l’invisible et l’inconnu» (οἴχετ’ ἄιστος ἄπυστος, Od. 1.242)[37]. Cette idée noire émarge à la vile réputation des Harpies, figée dans l’imaginaire: leur victime, coupable, et punie pour ses méfaits ou son impiété (tel Ulysse qui disparaîtrait sans gloire [ἀκλεής] ni sépulture), n’oppose aucune résistance et se dissout dans les airs à jamais, tel Ganymède enlevé à la terre par une θέσπις ἄελλα (HhAphr. 208), dans un parfait tourbillon aérien venu de nulle part, instantané et imperceptible, sans que Trôs sache qui avait ravi son fils, ni en quel endroit[38]. Le tourbillon aérien (θύελλα/ἄελλα) que mènent souvent les Harpies est fréquemment invoqué par les femmes (Vermeule 1979, 168-169). Pénélope, qui veut disparaître (ἀϊστόω) et échapper à l’amertume, prie pour qu’une θύελλα «[l]’enlève (ἀναρπάξασα) et [l]’emporte au plus vite à travers les routes de l’air, pour la jeter aux bords lointains où l’Océan reflue» (Od. 20.63-65). Ce passage témoigne des affinités des ἄελλαι/θύελλαι et des Harpyes ailées et chthoniennes avec la mort et l’envol vers les confins océaniens du cosmos[39]. Hélène, coupable et rongée de remords, déplore que les Harpies ne l’aient pas enlevée (ἀνηρείψαντο) quand elle avait suivi Pâris, conduite par le pouvoir destructif d’Αἶσα, δαίμων féminin (Q. S. 10.395). Telle action des Harpies aurait eu valeur d’antidote immé­diat de la part des «δαίμονες rapaces» (cfr. Suida s.u. Ἅρπυιαι: ἁρπακτικαί δαίμονες), attachées à leur fonction justicière.

Les Harpies, assimilées à des θύελλαι[40], enlèvent également les Pandaréides, κόραι aux parents anéantis par les dieux pour le crime de leur père, complice du rapt et du parjure de Tantale (cfr. Paus. 10.30.2). Soignées par les Olympiennes jusqu’à la fleur de l’âge, elles furent néanmoins, et sans doute sur l’ordre de Zeus, enlevées par les Harpies (ἅρπυιαι ἀνηρείψαντο) et livrées aux É­rinyes[41] pour les servir (ἀμφιπολεύειν) de gardiennes, servantes ou prêtresses (Od. 20.66-78)[42]. Le cas des Pandaréides illustre bien le modus operandi des Harpies/θύελλαι, qui constituent un véhicu­le tourbillonnant de transfert des victimes dans l’au-delà, et qui actualisent aussi, par la même δύναμις vorticielle, leur changement de nature ontologique (être – non-être, vie – mort). Elles président donc aux passages d’un état cosmique à un autre, d’un statut à un autre ou d’un monde à un autre[43]. Au-delà toutefois de leur fonction de passeuses de mondes, les Harpies participent d’une entreprise bien plus complexe. Zeus τερπικέραυνος ‘brandisseur de foudre’ dans ce contexte odysséen et qui sans doute mène l’action, connaît la μοῖρα «qui revient à chaque mortel». Les Harpies appliquent donc aux Pandaréides la sanction due à leur père impie, en garantes pré-olympiennes et inexorables des principes de la justice rétributive, et selon le plan de Zeus pour le maintien de l’ordre et de l’équilibre cosmiques. Elles sont donc proches des Érinyes et des Moires, autres figures ancestrales, qui «tournent le gouvernail de la nécessité» (cfr. οἰακο-στρόφ-ος)[44] et jettent au Tartare les contrevenants à la δίκη, «dans un grand tourbillon irrésistible»[45]. Zeus lui-même «relègue les dieux hybristiques» au Tartare plein de θύελλαι[46] et que gardent (φυλάσσουσι) les Harpies et Thyella, filles de Borée, selon la version de Phérécyde[47].

Le mythe de Phinée

À l’époque où les règnes divin, humain et animal sont encore entrelacés et où les dieux partagent plus de temps avec les mortels, Phinée, roi et devin thrace, outrepasse sa fonction, crime d’hybris. Un lourd châtiment divin lui est infligé par Zeus, dont il a révélé la pensée sacrée (ἱερός νόος) aux mortels; ou par Poséidon, pour avoir indiqué aux enfants de Phrixos la route de Colchide[48]; ou par Hélios, pour avoir préféré une longue vie sans lumière à la vie humaine sans cécité[49]; ou enfin par Borée, pour avoir aveuglé ses propres enfants à l’instigation de leur belle-mère[50]. Châtiment et cécité composent avec un autre dénominateur commun, la poursuite des Harpies par les Boréades et l’aition des Îles Strophades[51]:

 

i) Phinée, aveugle, est livré aux Harpies qui le harcèlent par leur intervention soudaine, par leurs mouvements tournoyants tout autour de sa tête et des mets sur sa table, et ce en toutes directions;

ii) pour neutraliser la violence des Harpies ou les punir, les Boréades, vents directionnels, d’eux-mêmes ou envoyés par les dieux, se lancent à la poursuite des Harpies, dont ils sont les seuls à pouvoir égaler la vitesse;

iii) la poursuite, qui se transforme en course (circulaire) autour de la terre ou (rectiligne) jusqu’aux limites du monde connu, ne cesse qu’au moment où les Boréades font volte-face. Jadis appelées Πλωταί, Îles Flottantes, car sans racines[52], les Στροφ-άδες «s’enracinent» dans la mer et dans l’imaginaire: elles tirent désormais leur nom du lieu où les Boréades en vol font demi-tour pour retourner vers Phinée. Certains récits s’achèvent sur la mort des Harpies aux mains des Boréades[53], voire la mort des Boréades eux-mêmes[54].

 

Ce mythe est attesté d’abord dans la περίοδος γῆς d’Hésiode[55], au sein du Catalogue des f­emmes, où on lit que Calaïs et Zétès, fils de Borée et Oreithye, cherchent à attraper et à punir les Harpies qui avaient emmené (ἄγεσθαι) leur beau-frère, le roi thrace Phinée, au pays des Mangeurs-de-Lait. Ils les poursuivent jusqu’aux marges du monde, rencontrant nombre de tribus exotiques et lointaines en des pays accessibles seulement par les airs. Au troisième tour de leur vol en cercle tout autour de la terre (τοὺς πάντας πέρι κύκλωι), les Boréades se précipitent vers l’Hyperborée, sur les rives de l’Éridan profond, torrent difficile à franchir (παρ᾽ Ἠριδανοῖο βα[θυρ]ρ[ό]ον αἰπὰ ῥέεθρα) et lieu de la chute cosmologique du char héliaque de Phaéton. Puis viennent le Mont escarpé d’Atlas, la rocheuse Etna et l’Ortygie, trois lieux cosmiques et tournoyants. Atlas est un pilier au symbolisme axial et ombilical (cfr. Od. 1.50-54), qualifié chez Hérodote de κυκλοτερής ‘rond de tous côtés’ ou ‘conique’ ([ὄρος] κυκλοτερὲς πάντῃ, 4.184.3), au même titre que la terre, «si ronde comme si elle eût été travaillée au tour», entourée par Okéanos (οἳ Ὠκεανόν τε ῥέοντα γράφουσι πέριξ τὴν γῆν ἐοῦσαν κυκλοτερέα ὡς ἀπὸ τόρνου, 4.36.2). L’Etna est une autre colonne cosmique, lieu de passage entre le Tartare tournoyant et l’Éther, prison de Typhon en personne, fils du Tartare[56]. Ortygie enfin est une île où le soleil infléchit sa course (ὅθι τροπαὶ ἠελίοιο, Od. 15.404)[57], souvent citée dans les mythes de fondation d’îles: île jadis flottante et invisible (ἄδηλος), elle émergea de l’abîme marin à la surface par volonté des dieux qui fondèrent ainsi D­élos (Δῆλος/δῆλος ‘la bien visible’), centre apollinien du monde. Le nouveau nom scelle le changement d’état de l’Ortygie originelle. C’est précisément autour de l’Ortygie que les Boréades «tournèrent deux fois et l’encerclèrent» (τὴν πέρι δ]ὶς πόλεσαν πέρι τ᾽ ἁμφί τε κυκλώσαντο/ ἱέμενοι] μάρψαι) à la poursuite des Harpies qui leur échappent par leur vol rapide.

Calaïs et Zétès s’élancent ensuite vers le pays des Lestrygons, où «les chemins du jour sont près des chemins de la nuit» (cfr. Od. 10.86), les contrées des Céphalléniens et de Nisos, où leur parvient «la voix perçante» des Sirènes (Σειρήνων τε λίγειαν ὄπα), auxquelles les Harpies sont souvent assimilées. Planant «les pieds haut dans les airs» (μεταχρονίοισι πόδεσσι)[58], ils suivent les Harpies qui filent sur la mer (?) «à travers le ciel stérile» (… … ]ν διά τ᾽ αἰθέρος ἀτρυγέτοιο)[59]. La fin de l’histoire nous est parvenue grâce au scholiaste des Argonautiques d’Apollonios et à Ps.-Apollodore, qui suivent peut-être la même source. Les Boréades finissent par s’emparer des Harpies: Aellopous (ou Nicothoé) tombe dans le fleuve Tigrès du Péloponnèse, qui fut renommé Harpys (l’aition continue); Okypétè (Ocythoè ou Ocypodè) gagne les Îles Échinades dans la Mer Sicilienne[60], désormais renommées Strophades en vertu d’une étymologie toujours tournoyante: Okypétè y fit volte-face (ἐστράφη) vers le rivage, pour s’y poser épuisée avec son poursuivant (Hes. Cat. fr. 103 Most = fr. 155 MW = Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21)[61]. Ou encore Zétès et son compagnon tournèrent autour (περὶ... στραφέντες) des Πλωταί avant de gagner le Mont Ainos pour y demander à Zeus de pouvoir capturer les Harpies sans pour autant les tuer (fr. 104a-b Most = fr. 156 MW = Sch. A. R. 2.296-297a-b). Selon Hésiode, ce fut Hermès qui les fit tourner autour (ἀποστρέψασαν...περὶ) des Πλωταί, alors que chez Apollonios, ce fut Iris, deux divinités des passages (et en tant que telles axées sur le tournoiement)[62].

Apollonios consacre 300 vers du chant II des Argonautiques (178-479) à recontextualiser les Harpies, «personnification in Homer and Hesiod of the swift whirlwind», «into an independant monster narrative» (Sistakou 2012, 70, n.69). Ayant mal usé de l’art divinatoire reçu d’Apollon, et pour avoir révélé imprudemment aux mortels les desseins sacrés de Zeus (ἱερὸν νόον, 182; Διὸς νόον, 313), «en détail et jusqu’au bout» (314)[63], Phinée, ancien roi de Thrace (236-237), est désormais exilé sur les rives du Bosphore, détroit tourbillonnant (δινήεντ’ ἀνὰ Βόσπορον, 168; 178)[64]. Il est irréversiblement privé de la vue (184, 220-221, 254-255, 259, 444)[65]. Jusqu’ici, rien qui le distingue de Tantale ou Tirésias. Mais Phinée est condamné en outre à traîner une «vieillesse interminable» (γῆρας μὲν ἐπὶ δηναιὸν, 183; γῆρας ἀμήρυτον ἐς τέλος ἕλκω, 221; ἀσχαλόωντος γέροντος, 243), qu’il ne peut pas parvenir à dérouler et dont il ne peut pas voir la fin, indéfiniment reportée (δηναιὸν), mais pas non plus sans point final[66]. Ce «mort vivant»[67] est en outre condamné à l’inanition (ἀπειρεσίοισιν ὀνείασιν, 185), «le mal le plus amer» administré par les Harpies elles-mêmes, qui le privent de toute nourriture ou presque, afin qu’il «survive dans la souffrance» (189-190). Sa punition est donc cruellement gérée et contrôlée par les Harpies.

En proie à ses (triples) tourments (cécité, vieillesse interminable et inanition), dans un état liminal au bout du monde, entre vie et mort, déchu de ses privilèges et habitant une demeure si exiguë qu’elle ne peut accueillir tous les Argonautes (497), Phinée mène une vie amère et inversée qui a connu un tournant à 180 degrés, au cœur d’un paysage «tourbillonnant» comme l’est le séjour de tout mortel proscrit par les dieux. La présence des Harpies (sans nom ni nombre défini) en dit long sur la nature de l’espace-temps qui cadre le récit: une géographie fictive «primitive», instable, flottante, remplie d’éléments tourbillonnants. Quand ils quitteront Phinée délivré, les Argonautes passent à travers les Kyanées[68], roches mouvantes «qui n’ont pas pour assise des racines profondes (οὐ γάρ τε ῥίζῃσιν ἐρήρεινται νεάτῃσιν)» et au-dessus desquelles «des paquets d’eau de mer jaillissent en bouillonnant et font retentir alentour, dans un fracas perçant, l’âpre rivage (πολλὸν ἁλὸς κορθύεται ὕδωρ | βρασσόμενον· στρηνὲς δὲ περὶ στυφελῇ βρέμει ἀκτῇ)» (2.317-323); s’ensuivent le rapide Rhébas (Ῥήβαν ὠκυρόην ποταμὸν, 349), l’île de Thynie et la terre des Mariandynes où s’ouvre un chemin vers l’Hadès (353), la falaise de l’Achéron tourbillonnant (δινήεις) qui déverse ses eaux d’une gorge profonde (355-356); le promontoire de Carambis, escarpé de tout côté, qui fait face à l’Ourse, Héliké la Tournoyante (ἔστι δέ τις ἄκρη Ἑλίκης κατεναντίον Ἄρκτου, | πάντοθεν ἠλίβατος), si élevé qu’il touche l’éther (361-364) et tout autour duquel s’écartèlent les ἄελλαι de Borée (περισχίζονται); dès qu’on a tourné tout autour et qu’on l’a doublé (περιγνάμψαντι... παρακέκλιται, 364), s’étend au loin la Grande Côte, au bout de laquelle (ἐπὶ πείρασιν) les eaux de l’Halys s’élancent avec un fracas terrible (365-367), l’Iris (!) roule vers la mer ses blancs tourbillons (λευκῇσιν ἑλίσσεται εἰς ἅλα δίναις, 368), et ainsi de suite: l’accumulation parle d’elle-même.

Ami des mortels mais coupable envers le maître des dieux, Phinée est un autre Prométhée, dont Apollonios évoque d’ailleurs le supplice sur le Caucase à la fin du chant (1246-1259). Comme souvent pour les mortels châtiés par les dieux, tels Tantale, Ixion, ou Tityos, le triple châtiment de Phinée témoigne, de par les formes cycliques, circulaires/tournoyantes et irréversibles qu’il revêt, de l’inflexibilité de la volonté divine envers tout acte de démesure et de transgression des ordres du ciel, potentiellement nuisible à l’ordre divin et à l’équilibre cosmique que Zeus représente et garantit[69]. Frappé de cécité pour le reste de sa longue vie — en fait, une vieillesse sans fin ou une vie sans mort —, Phinée est cycliquement tourmenté par les Harpies qui lui enlèvent les aliments chaque fois qu’il veut se nourrir. Il est donc condamné à perpétuité à expier son crime, sans pouvoir s’échapper au cercle épuisant des arrêts du destin.

Si l’Érinye a piétiné ses yeux (οὐ γὰρ μοῦνον ἐπ᾽ ὀφθαλμοῖσιν Ἐρινὺς | λὰξ ἐπέβη, 220-221), ce sont les Harpies qui appliquent jour après jour la troisième sentence punitive de Zeus: «surgissant tout à coup à travers les nuages» (διὰ νεφέων ἄφνω πέλας ἀίσσουσαι)[70], elles lui arrachent (Ἅρπυιαι...ἥρπαζον) à chaque fois tout aliment de la bouche et des mains, à coups de becs (γαμφηλῇσιν) (187-189), le seul détail explicite qui trahit la nature des Harpies[71]. Parfois, pour prolonger ses tourments, elles lui abandonnent de rares restes sur lesquels elles répandent une odeur si infecte que personne n’ose s’en nourrir, ni s’en approcher (191-193). Ou, selon la description détaillée (mais aussi incomplète) qu’en offre Phinée lui-même, les Harpies fondent tout à coup sur lui, comme des oiseaux de proie (Ἁρπυίῃσιν ἑλώριον, 264), d’un repaire invisible de mort/destruction (ἔκποθεν ἀφράστοιο καταΐσσουσαι ὄλεθροι), et lui arrachent la nourriture de la bouche (Ἅρπυιαι... ἀφαρπάζουσιν). La célérité de leur vol (ὧδ᾽ αἶψα διηέριαι ποτέονται) est telle que Phinée la compare avec celle de son propre νόος (225-227). L’efficace soudaineté de leur épiphanie en vol, venue de nulle part, est partout mise de l’avant, comme sa violence, sa fulgurance foudroyante (ἀΐσσω), et ses relents pestilentiels.

Zeus punit, mais il annonce aussi, par le biais d’un énigme de type oraculaire, une partielle remise de peine: quand viendront les Argonautes, les Boréades éloigneront de lui les Harpies[72]. Fort de cet arrêt solennel (θέσφατον ἐκ Διὸς, 196; τὰς μὲν θέσφατόν ἐστιν ἐρητῦσαι Βορέαο | υἱέας, 234-235), Phinée jure aux Boréades (ὀμόσσῃς, 252; 257-261; ὅρκοισιν, 262) qu’ils n’offenseront pas les dieux en prenant sa défense. Ignorants du plan de Zeus, à la fois apparentées et opposées aux Harpies, «ils se postent tous deux à ses côtés», il l’entourent en quelque sorte (ἐγγύθι δ᾽ ἄμφω/ στῆσαν) — comme, à leur arrivée, les Argonautes encerclent Phinée (περισταδὸν ἠγερέθοντο, 206) et comme les Harpies tournent autour de sa tête —, prêts à se précipiter (ἐπεσσυμένας) sur les Harpies sitôt l’attaque lancée (ἐλάσειαν). À peine Phinée vient-il de toucher aux aliments que, «soudain, comme de sinistres ἄελλαι ou des éclairs (ἠύτ᾽ ἄελλαι ἀδευκέες, ἢ στεροπαὶ ὥς)[73], les Harpies fondent des nues à l’improviste et s’élancent avec des cris aigus, avides de nourriture (ἀπρόφατοι νεφέων ἐξάλμεναι ἐσσεύοντο | κλαγγῇ μαιμώωσαι ἐδητύος: οἱ δ᾽ ἐσιδόντες | ἥρωες μεσσηγὺς ἀνίαχον)» (266-269). À leur vue, les Argonautes poussent à leur tour de grands cris. Tout est dévoré en un instant et elles s’envolent (φέροντο) à grand bruit au-dessus des mers aussi rapidement qu’elles étaient venues, laissant sur place une odeur fétide (271-273). Aux deux tableaux précédents s’ajoute l’élément sonore, les cris aigus (κλαγγή, 269) des Harpies — un autre indice de leur nature d’oiseaux[74] — et, en réplique, les cris forts (ἀνίαχον) de l’assistance, doublés par la toile sonore formée par le grand bruit du battement rythmique des ailes (ἅμ᾽ ἀυτῇ, 270). On dénote, pour cette embuscade, les verbes en rafale pour indiquer des mouvements violents (ἐπισεύω, ἐλαύνω, ἐξάλλομαι, σεύω, βρόχω, φέρω), voire tournoyants, qui culminent avec la comparaison avec les ἄελλαι, la tornade spécifique des Harpies, et les στεροπαί spiralées, l’attribut consacré de l’autorité de Zeus. Ajoutons-y les euphonies, assonances et allitérations, qui participent du dynamisme et de la violence de l’épisode narratif.

L’épiphanie et la disparition des Harpies, comme leurs interventions pareilles aux mouvements centripètes des ἄελλαι, apparaissent imprévisibles, source de désordre, mais aussi ciblées, résolues, à intervalles réguliers, pour rappeler chaque jour à Phinée son outrage aux dieux. Leur action ne perturbe en rien l’ordre cosmique, car elles agissent sur ordre de Zeus en tant qu’agent infaillible de la justice divine et du maintien de l’équilibre. La puanteur et la souillure qu’elles répandent sont l’émanation de l’impiété punie de Phinée. Ce dernier, d’ailleurs contrit, clame son désir d’éviter l’hybris (311-316, 389-391, 425), d’agir selon la θέμις (288, 311), d’honorer les dieux et de respecter les arrêts divins du destin et de la Nécessité sans fin (ἄατος...ἀνάγκη, 232)[75]. Nécessité est une autre figure circulaire/tournoyante bien connue des systèmes cosmogoniques des Présocratiques. Ἀνάγκη dérive d’ἄγκος ‘courbé’ et renvoie à l’idée de lien infrangible qui étreint/retient/ contraint et à celle de la «circularité» de la nécessité, récurrente dans la pensée grecque[76]. Le rapport entre θέμις et ἀνάγκη est univoque: qui ignore la loi divine (θέμις) sera pour son malheur poursuivi par une funeste et brutale contrainte (ἀνάγκη)[77]. Les Harpies, figures justicières, assurent ce genre de justice rétributive ancestrale, punissant les impies de châtiments dictés par la Nécessité afin que l’ordre et l’équilibre cosmiques soient (r)établis et préservés.

Les Boréades n’entrent en scène qu’après la disparition des Harpies et entament la poursuite «avec une égale vitesse», grâce au supplément de μένος qui leur est conféré par Zeus (274-275), condition nécessaire pour pouvoir l’emporter sur leurs proies, dont la vitesse est celle de la tornade du Zéphyr (ἐπεὶ ζεφύροιο παραΐσσεσκον ἀέλλας αἰέν, 276), le vent le plus rapide à l’époque archaïque[78]. Au moment où les Boréades vont les rejoindre, «très loin» (ἑκάς, 285)[79], au-dessus des Πλωταί, la rapide (et tournoyante) Iris fond à travers l’éther et les avertit «qu’il ne leur est pas permis de frapper les Harpies avec leurs épées» (οὐ θέμις... ξιφέεσσιν ἐλάσσαι/ Ἁρπυίας, 288-9). Elle jure rituellement par le Styx, instrument de la justice divine «primitive», que Phinée sera déli­vré des Harpies. Avec ce redoutable serment impliquant un lien circulaire[80], le cercle narratif se referme lui aussi sur un véritable renversement de la situation: les fils de Borée firent demi-tour (ὑπέστρεφον)[81] pour revenir au navire (ἂψ ἐπὶ νῆα), à cause de quoi on appelle Strophades (îles du «Retournement») les îles jadis nommées Πλωταί ‘Flottantes’; «les Harpies et Iris se séparent (διέτμαγεν): les unes plongent dans une grotte (ἔδυσαν κευθμῶνα) de la Crète de Minos, l’autre s’élance (ἀνόρουσεν) vers l’Olympe, portée dans les airs par ses ailes rapides» (273-301)[82].

Les lointaines Πλωταί/Strophades constituent ainsi le véritable tournant du récit, scellé par un arrêt divin (οὐ θέμις), doublé par le serment des dieux. L’histoire connaît son tournant à 180 degrés, quand Iris détourne les Boréades de leur envie de mettre en pièce les Harpies, p­oint narratif marqué par καί νύ κε δή.../εἰ μὴ ἄρ᾽... (284-287) et l’emploi du verbe ἐρύκω (ἠδ᾽ ὡς Ἶρις ἐρύκακε τάσδε δαΐξαι, 2.432). C’est aussi le lieu de l’entrecroisement de trois parcours tourbillonnai­res qui ensuite se décroisent sur l’ordre du maître de l’ordre cosmique, Zeus (cousin de Borée et Titanides tous deux), via sa messagère, Iris, sœur des Harpies toutes nées d’Électre, f­ille d’Océan (Hes. Th. 265-267). Iris remonte à l’éther, les Harpies disparaissent sous terre et les Boréades restent au milieu de l’axe, pour regagner leurs compagnons selon une voie «horizontale». Phinée délivré «mange avidement» (δαίνυτο ἁρπαλέος, 305-6, à rapprocher des Ἅρπυιαι)[83], «comme dans ses rêves, le chœur charmé», et, assis au milieu des Argonautes (ἐν μέσσοισι, 309), les instruit sur la suite de leur voyage.

Un mythe de poursuite divine jusqu’aux limites de la terre, où «les éléments restent dans un état chaotique, où la terre ne constitue pas un élément fixe et enraciné, mais est mobile comme l’onde elle-même» (Ballabriga 1988, 94), devient ainsi le récit étiologique de la fondation d’îles. La confrontation de figures ailées proches des origines passe du simple canevas narratif, moyennant réélaborations et transpositions symboliques de motifs mythiques, à un récit étiologique relevant des mythes cosmologiques qui tentent de décrire comment l’univers des Grecs s’est graduellement structuré et «fixé».

Conclusion

La poursuite des Harpies est loin d’être une anecdote dans une histoire purement étiologique. Calais et Zétès sont des vents du nord, et repoussent les Harpies au sud, vers la Crète, après l’avoir emporté sur elles dans la Mer Sicilienne, sur la volonté de Zeus. Aussitôt les Πλωταί, encore flottantes et errantes, s’enracinent dans la mer et la nouvelle entité insulaire, fixe et stable, hérite d’un nouveau nom qui scelle un changement de statut ontologique dans l’imaginaire cosmographique, si friand de listes de lieux, peuples et pays, catalogues géographiques, καταγραφαί et autres descriptions topographiques. C’est un schéma qu’on retrouve tant à l’époque archaïque — ainsi qu’en témoigne la περίοδος γῆς d’Hésiode, texte capital de la cosmographie archaïque —, qu’à la période alexandrine, chaque fois qu’on veut découvrir de nouveaux espaces, fonder des villes nouvelles, tracer des routes inédites et (ré)inventer des périples qui empruntent de nouvelles voies, sans désavouer pour autant les modèles des périples archaïques, notamment le modèle homérique, qu’on respecte mais qu’on veut dépasser.

Au sein d’un monde dont les contours sont en pleine mutation, lorsqu’on veut inventer une nouvelle carte du monde et, ainsi, un nouvel ordre du monde, Apollonios métamorphose l’affrontement des Harpies et des Boréades sur les Îles Strophades dans le plus pur esprit alexandrin. Dans une fidélité inventive à la tradition, il transforme les valeurs de l’archaïsme qu’il intègre dans son récit afin d’en faire émerger des conceptions nouvelles. Prenant prétexte d’une re-fondation étiologique des Strophades dans une logique spatio-temporelle digne de la περίοδος γῆς hésiodique, il dépasse le modèle du catalogue géographique pour conférer au récit une véritable allure cosmique et cosmologique. Il le transforme en un véritable conflit entre les Harpies et les Boréades. Les premières sont des monstres féminins ailés, issues des premières générations divines, figures pré-cosmiques en quelque sorte, anonymes, instables et mal définies. Les jeunes Boréades, eux, petits-cousins de Zeus, sont pourvus de noms, d’un nombre fixe, et mieux individualisés, figures divines masculines soutenues dans leur entreprise par le μένος que Zeus lui-même leur inspire. Figures d’un nouvel ordre qui s’élabore[84], ils sauvent le vieux Phinée et remplacent les Harpies, figu­res du «vieil ordre» de la justice rétributive, dans la progression qui mène du chaos au cosmos, du désordre à l’ordre, de l’état cosmique de mobilité indifférenciée à la stabilité. Les nou­velles Strophades fixes remplacent les anciennes Πλωταί mouvantes sur la nouvelle carte du monde, le paysage lui-même étant dessiné et intégré comme élément fondamental de la réflexion sur le passa­ge d’un ancien ordre cosmique au nouveau[85].

Le vol des Harpies et la poursuite des Boréades s’achèvent, permettant aux îles errantes de se fixer. Au vol tourbillonnant des Harpies, qui leur sert de modus operandi auprès de Phinée, et d’instrument de combat lorsque, de poursuivantes, elles deviennent poursuivies, s’oppose le vol directionnel, orienté et rectiligne/«horizontal» des Boréades. De plus, Apollonios convie moult autres motifs tournoyants, spiralés ou circulaires assemblés dans une vraie mosaïque d’allusions et d’associations pour illustrer l’espace-temps en jeu, où le paysage regorgeant de tourbillons, loin d’être un simple cadre décoratif, se révèle un acteur à part entière dans l’économie du récit. S’y ajou­te la véritable ronde de motifs circulaires/tournoyants autour de *στροφ- (tour/retour/demi-tour, tourner autour/détourner/se retourner/volte-face) et intimement reliés aux retournements de situation que connaissent tous les protagonistes de l’histoire et qui, bien enchaînés, convergent vers les Strophades qui s’immobilisent et deviennent une borne fixe et un repère stable de la cosmographie grecque.

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[1] Leurs parents sont: Thaumas et Électre, fille d’Okéanos βαθυρρείτης ‘au cours profond’: Hes. Th. 265-267, Ps.-Apoll. Bibl. 1.2.6; Okéanos et Gaia: Epim. FGH 3 B 7; Borée: Pherec. VS 7 B 5; Pontos (ou Poséidon) et Gaia: Serv. ad Aen. 3.241, Myth. Vat. 3.5.5; Thaumas et Ozomène: Hyg. Fab. 14.18; Typhon: Val. Flacc. Arg. 4.428 et 516; Phinée: Tzetz. ad Lyc. 166; Chil. 1.220; Pal. 23.3.

[2] Il. 8.409, 24.77 et 159.

[3] Hes. Th. 267-269; cfr. Hes. Cat. fr. 103 Most; Ps.-Apoll. Bibl. 1.2.6 et 1.9.21; Ov. Met. 3.219 (cursu fortis Aello) et 13.710; Hyg. Fab. 14.18.

[4] Hes. Cat. fr. 103 Most, Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21, Hyg. Fab. 14.1; Il. 16.150, 19.400; Verg. Aen. 3.211 et 365; Val. Flacc. Arg. 4.453; Hyg. Fab. 14.18.

[5] Ps.-Apoll. Bibl. 1.2.6 et 1.9.21; Serv. ad Aen. 3.209; Hyg. Fab. 14 et Praef. p. 15; Sch. A. R. 2.222-224a.

[6] À l’exception de Podargè, qui s’unit à Zéphyr. Selon d’autres sources, les chevaux d’Érechthée seraient fils de Borée et Aellopos (Nonn. D. 37.155), ceux de Sthénélos, fils de Zéphyr et d’une Harpie (Q. S. 4.570), ceux des Dioscures, fils de Podargè (Stesich. fr. 1 PMG), etc. Ovide (Met. 7.4) appelle les Harpies uolucres uirgeneae; cfr. Verg. Aen. 3.216: uirginei uolucrum uoltus.

[7] A. R. 2.298: κευθμῶνα Κρήτης Μινωίδος; Sen. Med. 781: invio specu; Ov. Met. 13.710: Strophades; Verg. Aen. 3.210: Strophades (mer Ionienne); Hyg. Fab. 14.18 et 19: Strophades.

[8] Epim. FGH 3 B 7, qui, en outre, identifie Harpies et Hespérides (3 B 9), comme Acousilaos (2 F 10).

[9] Pherec. FGH 7 B 5; Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21; Verg. Aen. 6.285-289. Le statut virginal des Harpies s’accorde aussi avec leur fonction de gardiennes. Elles interviennent auprès des filles de Pandarée, jeunes orphelines auxquelles Zeus refuse le mariage (Od. 20.66-78, voir infra).

[10] Chez Théognis (1.715-716), aux «agiles Harpies» s’ajoutent «les fils de Borée, dont les pieds volent», étalons suprêmes de la vitesse (ὠκύτερος δ’ εἴησθα πόδας ταχεῶν Ἁρπυιῶν/ καὶ παίδων Βορέω, τῶν ἄφαρ εἰσὶ πόδες).

[11] Hes. Cat. fr. 45, 47 et 48 Most; cfr. Ov. Met. 10.654-655.

[12] Sch. Lyc. Alex. 63.

[13] Vermeule 1979, 75-76, 201-202; Aston 2011, 75-76; LIMC s.u. Harpyiai, p. 445-450 (L. Kahil).

[14] Pisandr. fr. 5 Davies = fr. 14 Bernabé (ὄρνιθες); Lyc. Alex. 653.

[15] Anaxil. fr. 22.5 Kassel-Austin: πτηνά θ᾽ Ἁρπυιῶν γένη; A. Eum. 51: ἄπτεροί; Soph. [Phin]. fr. 706 Radt : χερσὶν ἁρπάγοις; Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21: πτερωταί; Opp. C. 2.619-20: ἀναιδέα φῦλα...| ἁρπυίας, πτερόεντα; Verg. Aen. 3.217: uncaeque manus et 3.233: pedibus...uncis; Hyg. Fab. 14.18: unguibus magnis; Val. Flacc. Arg. 4.455: manu... unguibus. Cfr. LIMC s.u. Harpyiai, nos. 1, 5, 13, 17. Cette imagerie réfère aux rapaces et aux enlèvements divins (cfr. Ganymède enlevé par l’aigle ravisseur de Zeus, par ex., Verg. Aen. 5.254b-255).

[16] Asclép. FGH 12 F 31: ἐμβάλουσσαι φθοράν τινα; A. R. 2.187-189, 272; Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21; Opp. C. 2.615-28; Val. Flacc. Arg. 4.457.

[17] Cfr. Il. 19.400; Q. S. 4.568-573, 8.154-155; Sil. Ital. 16.364-365, 426-427. Chez Alcée (fr. 327 Voigt), Zéphyr est l’époux d’Iris, sœur des Harpies, et le père d’Éros. Selon Diodore (6.3 apud Eust. ad Il. 16.150), Xanthos et Balios étaient des Titans et auraient aidé Zeus et Poséidon lors de la Titanomachie, métamorphosés durant le combat afin de ne pas être reconnus par leurs frères. Ils seraient ensuite échus à Pélée et c’est pourquoi Homère ferait prophétiser Xanthos sur la mort d’Achille.

[18] Cfr. Johnston 1992, 86. Les dieux offrent souvent des chevaux immortels en rançon de leur rapt (cfr. Ganymè­de: Il. 5.265-267; HhAphr. 210-211; Paus. 5.24.5).

[19] Il. 18.399 et 402-403, Od. 20.65; Hes. Th. 242, 776 et 959; HhHerm. 227; A. PV 138-140; Eur. Or. 1379, etc. Océan tourbillonnant: Od. 10.511; Hes. Th. 133, 265, 337 et Op. 171, etc.

[20] Les dieux-vents habitent d’ailleurs aux marges du monde: Borée (fils des Titans Astréos et Éos) dans les monts/cavernes thraces ou scythes, avec les Boréades nés d’Oreithye enlevée.

[21] Il. 19.350, cfr. Nic. fr. 73; Ael. NA 1.35, 2.47, 12.4; Arist. HA 609a24; Hsch. s.u. ἅρπη· ἄνεμον.

[22] Hes. Th. 154-180; cfr. A. R. 4.985; Ps.-Apoll. Bibl. 1.1.4; OF 24 et 185-186. Cfr. Santamaría 2017, 120, qui rapproche la serpe de Gaia de la foudre de Zeus. La serpe servira, tout au long de la tradition grecque, pour l’établissement et la préservation de l’ordre cosmique par la mise à mort de monstres pré-olympiens du désordre, difformes, souvent serpentins et tour­noyants.

[23] Cfr. Q. S. 8.156-157: les chevaux de Néoptolème, nés d’une Harpie et Zéphyr, «parcourent les flots de la mer stérile et passent aussi vite que les vents». Cfr. HhAphr. (2).3 (Ζεφύρου μένος υγρὸν ἀέντος), à comparer avec ἀνέμων [διάη] μένος ὑγρὸν ἀέντων (Od. 5.478 et 19.440, Hes. Th. 869 et Op. 625).

[24] Xanthos est aussi le nom d’un cheval d’Hector (Il. 8.185), de Diomède (Hyg. Fab. 30) ou d’Érechthée (Nonn. D. 37.156-157). Une des juments d’Œnomaos, «par ses sabots pareille à une Harpie», s’appelle Harpinna, et l’autre, Psylla, est πόδαργος (Lyc. Alex. 166-167). Podargos désigne encore un coursier d’Hector (Il. 8.185) ou de Ménélas (Il. 23.295).

[25] Xanthos, fils de Zeus (Il. 14.434, 21.2, 24.693) est le nom divin du fleuve Scamandre pour les hommes (Il. 20.74), ‘brillant’, ‘issu de Zeus’ ou ‘tombé du ciel’ (διϊπετέος ποταμοῖο, Il. 21.326), et vorticiel: Il. 2.877, 5.479, 8.490, 14.434 et 21.2 = 24.693, 20.73 = 21.329, 21.8, 15, 125, 130, 143, 206, 212, 228, 329, 332 et 603, 22.148. Scamandre est chez Hésiode (Th. 345, cfr. 337) au rang des dieux-fleuves tourbillonnants nés de Téthys et Okéanos.

[26] Fr. Ep. Adesp. 1 Powell.

[27] A. R. 2.289; Hyg. Fab. 19.2; Hsch. A 7411: ἁρπακτικοὺς δαίμονας; IPerg. 203: ἁρπυίαι σκύλακες.

[28] Βαλιός, épithète des αὖραι (Nonn. D. 9.156), ἄελλαι (Opp. C. 2.314; Nonn. D. 10.20), πτερά (Call. fr. 110.53), γόνατα (Triph. 84), etc.

[29] ἀργής qualifie souvent les pieds des chiens de chasse: Il. 1.50, 15.161, 18.283 et 578; Od. 2.11, 17.62 et 20.145, d’où ἀργίποδας κύνας (Il. 24.211; Soph. Ai. 237; ἀργιπόδαν χίμαρον: AP 6.299.8).

[30] ἀργής κεραυνός: Il. 8.133 = Od. 5.128 et 131, 7.249 et 12.387; Ar. Av. 1747; OH 19.17; Ζεὺς ἀργής: Emp. B6/D57.2 (cfr. Zeus ἀργικέραυνος: Il. 19.121, 20.16 et 22.178; OF 21a, 168; Pi. Ol. 8.3, Péans 12.9 [κελαινεφέʼ ἀργιβρέντανΖῆνα]; Bacch. 5.58; Cleanth. 1.22; Q. S. 2.442; Nonn. D. 10.85; Arist. Meteor. 371a20.

[31] Les mouvements des dieux, des (dieux)-vents ou des équidés divins en vol/course rapide au ras des flots est un topos récurrent dans la tradition littéraire et iconographique grecque. À ce sujet, voir Cursaru 2019, 325-393. Par exemple, les douze pouliches de Borée, issues de l’union du dieu-vent, métamorphosé en étalon, et des trois mille cavales d’Érichthonios, traversent la mer à haute allure sans en toucher les flots: cfr. Od. 20.226-229: «quand elles voulaient s’ébattre sur le large dos de la mer, elles couraient sur la pointe des brisants du flot blanchissant», tout comme, «quand elles voulaient s’ébattre sur la glèbe nourricière, elles couraient sans les rompre, sur la pointe des épis»; voir aussi Opp. C. 1.231-232 pour l’image des chevaux qui courent l’un «légèrement sur la sommité des fleurs, un autre, sur les flots de l’Océan, sans toucher l’onde amère» (ἵππος ἐπ᾽ ἀνθερίκων ἔθεεν κούφοισι πόδεσσιν,/ ἄλλος ὑπὲρ πόντοιο, καὶ οὐ στεφάνην ἐδίηνεν).

[32] Deux beaux exemples de l’Iliade combinant l’agilité du chien et de l’arc d’Apollon, lequel conjugue les sèmes de l’éclat et de la rapidité des traits (Il. 1.49-50). Foudre de Zeus et vaisseaux rapides (Od. 5.131 = 7.249; 12.387). Jeune, le chien Argos d’Ulysse était réputé pour sa vitesse et sa vision étonnantes (Od. 17.315-317); cfr. l’exemple d’Argos Panoptès: ses cent yeux (sur la tête ou le corps) sont toujours ouverts, «scintillants», avec une vision à 360 degrés (A. PV 566-576, 677-682 et Suppl. 292-314; Ps.-Apoll. Bibl. 2.4; Q.S. 10.190-192; Hyg. Fab. 145, etc.); rappelons Atalante au regard tournoyant et rapide comme une Harpie.

[33] Ar. Av. 887; Arist. HA 509a4, 615a28, An. 2.12.15.

[34] Il. 22.139; Od. 13.87 (ἴρηξ κίρκος) et 15.526 (Ἀπόλλωνος ταχὺς ἄγγελος); Batr. 49; A. PV 859 (κίρκοι πελειῶν οὐ μακρὰν λελειμμένοι), Suppl. 224 et fr. 304.5 (κίρκου λεπάργου); Arist. HA 620a18; Opp. C. 1.64.

[35] Sur le sens de «cataracte», notamment du Nil (cfr. κατάδουποι), ou une chute formant des tourbillons, cfr. D. S. 1.32, 17.97; Strab. 17.1.2 et 49 (14.1.21: ὄμβρος καταρράκτης); Epigr.Gr. 979.7 (Philae); Arr. Anab. 7.7.11. Hdt. 7.26 (Καταρράκτης, un fleuve en Phrygie). Voir aussi Heliod. 9.8 (écluse); App. Civ. 5.82 (la herse d’un pont ou le pont-levis, pour l’embarquement sur des navires); D. H. 8.67 (καταρράκτας τῶν πυλῶν διακόψας) et 20.1, Plu. Ant. 77 et Arat. 26 (καταρρακτὴ θύρα), Quaest. Conv. 7.5.3, 705E (πύλας βαλανάγραις καὶ μοχλοῖς καὶ καταρράκταις ὀχυράς), etc.

[36] Il. 3.10-14, 5.499-505, 11.163, 13.334-337 (κονίη ἵστατ᾽ ἀειρομένη), 16.374; Hes. Th. 551, 880, etc.

[37] L’adjectif ἄιστος, d’emploi assez rare chez Homère, qualifie deux fois Ulysse, que les dieux ont rendu «le mortel le plus invisible» (Od. 1.235, 241). Son emploi est renforcé par celui d’ἄπυστος, pour désigner une situation incompréhensible.

[38] Électre, totalement isolée par la mort d’Oreste, dit: «Tu as passé comme une θύελλα, me ravissant tout» (Soph. El. 1140). Philoctète (Soph. Phil. 1092-1093) veut «dans une tempête bruyante, [être] ravi en haut de l’air» par les Harpies (ou par des vents de tempête, voire des oiseaux, suivant les traductions).

[39] Les vents sont psychopompes et gardiens du seuil entre vie et mort, chez les Orphiques, par exemple (OH fr. 27 Kern = Arist. An. 410b).

[40] Notons l’emploi indifférencié de θύελλαι et d’Ἅρπυιαι dans Od. 20.66 et 73. Cfr. Nagy 1979, 194-196. L’identité des deux figures féminines sur la face nord du «Monument lycien des Harpies» (480-470 av.) a partagé les commentateurs: Harpies ou Sirènes? Étant donné leur similitude avec les Harpies qui apparaissent dans le répertoire iconographique de Phinée, on interprétera ces deux reliefs de Xanthos comme l’enlèvement des filles de Pandarée par les Harpies. Cfr. Draycott 2008 (avec bibl.).

[41] A. Eum. 50-2. Soit les Harpies ont été absorbées par les Érinyes, soit Harpies et Érinyes sont équivalentes (cfr. Dietrich 1964). Contra: Johnston 1992, 89.

[42] Lesser 2017.

[43] Bonnechère & Cursaru 2020, 451-461.

[44] A. PV 515-516: Χο. τίς οὖν ἀνάγκης ἐστὶν οἰακοστρόφος; Πρ. Μοῖραι τρίμορφοι μνήμονές τ’ Ἐρινύες.

[45] A. Eum. 558-565.

[46] Hes. Th. 742-743: ἀλλά κεν ἔνθα καὶ ἔνθα φέροι πρὸ θύελλα θυέλλης/ ἀργαλέη: δεινὸν δὲ καὶ ἀθανάτοισι θεοῖσι. Cfr.. Pl. Phd. 112b.

[47] FGH 7B5: «κεíνης δè τῆς μοíρας ἔνερθέν ἐστιν ἡ ταρταρíν μοῖρα. φυλάσσουσι δ’ αῦτὴν θυγατέρες Βορέου Ἅρπυιαí τε καì Θúελλα, ἔνθα Ζεùς ἐκβάλλει θεῶν ὅταν τις ἐξυβρíσῃ». Cfr. Emp. PStrasb. d 4 MP: [Ἅρ]πυιαι θανάτοιο πάλοις [ἡμῖν παρέσ]ονται (= D76.4 LM: Ἅρ]πυιαι θανάτοιο πάλοις [ἤδη παρέσ]ονται «Les Harpies avec les lots de la mort seront bientôt là»).

[48] Hes. fr. 105 et 192 Most = Sch. A. R. 2.178-182; Istros, FGH 334 F 67.

[49] Ascl. Tragil. FGH 31 (= Sch. Od. 12.69). Voir aussi l’exemple de Lycurgue, roi thrace dont Zeus «fit un aveugle» pour avoir osé d’affronter Dionysos et ses nourrices (Il. 6.130-140; A. Lycurgie).

[50] Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21 et 3.15.3; Soph. Antig. 966-987 (on reconnaît le principe «œil pour œil, dent pour dent» de la justice rétributive); D. S. 4.44.4; Arg. Orph. 671-676; Hyg. Fab. 19; Sch. Ov. Ib. 265, 271; Myth. Vat. 2.165. Chez Oppien (C. 612-628), la punition vient d’Apollon et sa colère redouble lorsque les Harpies qui, sur son ordre, harcèlent Phinée, sont tuées par les Boréades; le vieillard est transformé en taupe (σιφνεύς), fouisseur presque aveugle et glouton appartenant à l’univers d’Apollon (cfr. Grégoire 1949, 136-137). Autre parallèle: le motif de la taupe et celui du hérisson (ἐχῖνος), animal tournoyant associé à Amphiaraos, devin à son tour, et du nom duquel dérive le nom des Échinades, ancien nom des Strophades (cfr. infra, n. 60).

[51] À deux exceptions près: D. S. 4.44.4 (version rationalisante) et Arg. Orph.

[52] Cfr. Od. 10.3 et Eust. ad l.c.: πλωτῇ ἐνὶ νήσῳ (l’île d’Éole «mouvante», car μὴ ἐρριζῶσθαι), l’archétype homérique des îles flottantes.

[53] Ibyc. fr. 292 PMG; Epim. FGH 457 F 6; A. fr. 260 Radt; Télestès, fr. 812 PMG; Opp. C. 6.215-225; Sch. A. R. 1.286, 297; Tzetz. Chil. 1.217.

[54] Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21; dans 3.15.3, Ps.-Apollodore rapporte la version d’Acousilaos, selon laquelle les Boréades furent tués par Héraclès à Ténos, cette même version étant reprise par Hygin, Fab. 14.18.

[55] Éph. FGH 70 F 42 = Strab. 7.3.9; P.Oxy. 1358 fr. 2 col. I; Hes. Cat. fr. 97-99 Most = fr. 63 Hirschberger. Le Catalogue des femmes était aussi ambitieux et influent que la Théogonie ou les Travaux. Selon Gagné 2021, [234-243], 236, «the cosmographic edifice of the Catalogue of Women was to remain a monument of reference for subsequent rewritings of the world». Voir Hirschberger 2004, 320-328; Dan 2009, 196-207.

[56] Et père des Harpies, selon la version du mythe de Phinée de Valérius Flaccus (cfr. supra, n. 1).

[57] Cfr. Hsch. s.u. Ὀρτυγíα: ὅπου αἱ δύσεις ἄρχονται «l’endroit où débutent les couchants». Sur les connotations symboliques de cette liminarité, cfr. Ballabriga 1986, 16-22.

[58] Cfr. Hes. Th. 269: μεταχρόνιαι γὰρ ἴαλλον [Ἅρπυιαι et Iris]; θοῇσι μεταχρονίη πτερύγεσσιν [Iris].

[59] Hes. fr. 98 Most = 150 MW: P.Oxy. 1358 fr. 2 col. I. voir aussi Hes. fr. 99 Most (= Philod. De piet. B 7504-09 Obbink).

[60] Espace liminal que «n’aborde jamais le nautonier» (Eur. IA 287) à cause des alluvions de l’Achelôos tourbillonnant (Ἀχελώϊον τ’ ἀργυροδίνης, Hes. Th. 340), «courant violent, abondant et bourbeux», cfr. Thuc. 2.102.3-5; cfr. Hdt. 2.10.3; Strab. 1.3.18; Paus. 8.24.11; St.Byz. s.u. Ἐχῖναι (E 185) Billerbeck; Eust. ad Il. 2.625-626. Les Échinades, pays que «le soleil n’eût jamais éclairé et qui ne fût pas une terre» avant qu’Alcméon, fils d’Amphiaraos et héros fondateur, le découvre et s’y installe, sur l’ordre d’Apollon (Thuc. 2.102.5-6); cfr. Ov. Met. 8.573-589 (combinant les thèmes du châtiment divin et de la métamorphose). En outre, le nom des Échinades dérive d’ἐχῖνος ‘hérisson’, animal tournoyant qui, pour se défendre, se roule en boule (Ion Trag. fr. 38.4 = Ath. 91E: στρόβιλος ἀμφάκανθον εἱλιˊξας δέμας; cfr. Plu. De soll. an. 971F-972A: περικυλινδέω; Ael. NA 3.10: κυλίω, 6.54 et 64: συνειλέω, συνείλησις; AG 6.45: σφαιρηδὸν σταφυλῇσιν ἐπιτροχάοντα et 6.149; Plin. 8.133: volutati supra iacentia poma. (…) convolvuntur in formam pilae).

[61] Ou en Crète, dans une caverne sous le pic d’Arginous, avant que leurs poursuivants meurent à leur tour, cfr. Ps.-Apoll. Bibl. 1.9.21 et 3.15.2; Sch. A. R. 2.296a (qui attribue aux Naupaktia [fr. 3 PEG] et à Phérécyde [3 F 29] l’idée que les Harpies se posent en Crète); Pisandre les fait revenir en Scythie «d’où elles étaient venues», cfr. Sch. A. R. l.c.

[62] Cesca 2022; Cursaru 2019, 82-103; Cursaru 2012.

[63] Les mortels ordinaires doivent ignorer en partie l’avenir, sinon ils se détourneraient du culte des dieux, dit Phinée (2.314-316). Tantale est condamné pour sa superbiloquentia (Cic. Tusc. 4.16.35) ou pour son «babil» (Luc. Salt. 54.3; Sacr. 9.10); Cfr. Eur. Or. 4-10 et Sch. ad v. 7; Ath. 281B; AP 16.131.9. Il est puni pour avoir révélé les μυστήρια des dieux (Ps.-Apoll. Épit. 2.1) ou divulgué les délibérations des dieux dont Zeus lui avait fait confidence (Hyg. Fab. 82).

[64] De plus, au moment névralgique (ἔνθα) où le navire des Argonautes entre dans le détroit du Bosphore et s’avance dans ses remous tournoyants (δινήεντα), une lame haute comme une montagne s’avance, perchée au-dessus des nues et prête à s’abattre (ἐπαΐσσοντι) sur le navire (2.169-174). Selon Ps.-Apollodore (1.9.21), Phinée est exilé à Salmydesse, or en décrivant le débarquement des Argonautes à Salmydesse, Accius (Phin. 573-577) se sert à foison de termes «tourbillonnants»: hac urbi curvo litore latratu | unda sub undis labunda sonit | simul et circum stagna sonantibus | excita saxis saeva sonando | crepitu clangente cachinnant.

[65] Cfr. le Tirésias homérique (Od. 10.492-495), puni pour avoir «trop» vu. Pour la cécité irréversible d’un devin, voir Call. H. 5, v. 80, 89 et, en spéc., 103, un passage qui témoigne d’une nette interaction avec Apollonios.

[66] Pour la construction en oxymore d’ἀμήρυτος avec ἐς τέλος «qui ne peut pas être enroulé jusqu’au bout», conformément à la conception selon laquelle la vie est un fil que les Moires Clôthai ‘Fileuses’, enroulent autour de leur quenouille (Eur. Or. 205-7; Phén. 1535), cfr. Vian & Delage 1976, 187 n. 1; Cuypers 1997, 243 ad 2.221 (vers qui offre «a complex image which defies adequate translation» et la métaphore autour d’ἕλκω est ‘of toilsome motion’); Matteo 2007 ad loc.

[67] A. R. 2.179-182, 215, 246-247, 311-316, 342-343, 390-391. L’exténuation physique de Phinée est décrite aux v. 197-208, au moment de l’arrivée des Argonautes: aveugle et les pieds décharnés, le corps noir de crasse et desséché, la peau sur les os, semblable à un «spectre vu en songe» (ἀκήριον ἠύτ᾽ ὄνειρον); il se lève de sa couche et, appuyé sur son bâton, il traîne en tâtonnant le long des murs ses pieds vacillants (ῥικνοῖς ποσίν) qui, épuisés par la faim, la faiblesse et la vieillesse, tremblent (τρέμε) à chaque pas; il accueille les Argonautes sur le seuil de la cour, où il s’effondre, les genoux exténués; au même instant, «un sombre vertige (κάρος πορφύρεος) l’enveloppe (ἀμφεκάλυψεν), la terre lui semble tourner (πέριξ) sous lui et il glisse, sans voix, dans la torpeur de l’épuisement (ἀβληχρῷ δ᾽ ἐπὶ κώματι κέκλιτ᾽ ἄναυδος)». Phinée est donc un «mort en vie» dont l’image est rapprochée par Hunter (1993, 91-92) de la description hésiodique du κῶμα auquel sont condamnés les dieux punis pour parjure (Th. 793-800). Sur l’émaciation de Phinée, cfr. Soph. fr. 712 Radt: νεκρός, τάριχος εἰσορᾶν Αἰγύπτιος.

[68] En cas d’échec, Phinée recommande de faire demi-tour (A. R. 2.338: ἄψορροι στέλλεσθαι).

[69] Bellérophon erre (ἀλάομαι) tout seul en tournant à jamais en cercle par la Plaine Aléienne (Ἀλήιον) pour avoir tenté de dépasser illégitimement sa condition humaine; Ixion est attaché à une roue qui tournoie sans cesse dans le ciel (l’éther) ou dans l’air, voire dans le Tartare, et qui l’entraîne ainsi dans un tourbillon éternel; Endymion est plongé dans un sommeil éternel, a­utre supplice à perpétuité; les Danaïdes portent des jarres percées desquelles l’eau s’écoule toujours; Sisyphe pousse à l’infini vers le sommet un grand rocher qui chaque fois roule sans pitié vers la plaine; Tityos dans l’Hadès est couché sur le sol et encerclé par deux vautours (les Harpies?) qui lui dévorent chaque jour le foie et les entrailles; Prométhée est lié d’«infrangibles entraves» et de «liens douloureux» au milieu d’une colonne où un aigle vient chaque jour lui ronger le foie; Tantale purge sa peine, debout dans un marais de l’Hadès, un rocher suspendu au-dessus de la tête, toujours a­ssoiffé et affamé, car chaque tentative de toucher l’eau qui lui arrive au menton la fait fuir dans un gouffre (dessé­ché par un δαίμων, cfr. Od. 11.587, peut-être un vent ou une Harpie), et, à chaque tentative de saisir un fruit a­utour de lui, le vent l’emporte jusqu’aux sombres nuées, etc.

[70] Le verbe ἀΐσσω (avec préverbes ἀπο-/κατά-), dont l’étymologie remonte à αἰόλος, désigne un mouvement impétueux, reliant souvent le haut et le bas ou deux points extrêmes opposés. Son emploi en Arg. 2.187 et 2.267-268 est à rapprocher de Soph. fr. 714 Radt (καταρράκται).

[71] Selon Cuypers 1997, 207, «γαμφηλῇσιν (188) may mean ‘beak,’ but it must not». Cfr. le commentaire de M­atteo 2007 ad 187-189, 188. γαμφηλαί est utilisé ailleurs pour désigner les mâchoires des chevaux d’Achille (Il. 19.394), fils de l’Harpie Podargè et Zephyr; ou celles de Typhon (A. PV 357), père des Harpies, selon certaines versions; ou le bec des oiseaux (Eur. Ion, 159, 1495; Ar. Eq. 198). Selon Ps.-Apollodore (Bibl. 1.921), qui qualifie les Harpies de πτερωταί, elles «descendaient du ciel à tire-d’aile» (ἐξ οὐρανοῦ καθιπτάμεναι) et à grands cris (ἅρπυιαι δὲ ἐξαίφνης σὺν βοῇ καταπτᾶσαι).

[72] En outre, dans le Phinée perdu de Sophocle (fr. 204 Radt), Phinée est l’époux de Cléopâtre, fille d’Oreithye.

[73] Cuypers 1997, 276 ad ἠύτ᾽ ἄελλαι propose pour traduction «‘like whirlwinds,’ a special case of comparison, because the Harpies are whirlwinds, in a sense» et rapproche cette comparaison de Hes. Th. 870-871 et 872-874. Selon Sistakou 2012, 71, «the shapelessness of these imaginary animals is an attribute frequent in fantasy literature which heightens the horror effect. Apollonius plays with this device by blurring the boundaries between the avian and the wind-like nature of the creatures; the fact that only the Boreads, two liminal beings between the bird and the wind too (cfr. 1.219-223), are able to fight against them retains the same ambiguity».

[74] Κλαγγῇ convient aux oiseaux de proie (cfr. Sch. ad 2.268-269b), mais aussi à d’autres créatures sauvages, comme les loups et les lions (Hh. 14.4), les aboiements des chiens (X. Cyn. 4.5), les sifflements des serpents (Pi. Dith. 2.18; A. Sept. 381), voire à la vibration de l’arc (Il. 1.49), aux prophéties de Cassandre (A. Ag. 1152), etc.

[75] Notons que, par contre, dans Arg. 1.459, ἄατος qualifie l’ὕβρις. Vu l’acte d’ὕβρις commis par Phinée et le châtiment divin qu’il reçoit en vertu de la Né­cessité, Apollonios joue ici sur la polysémie du verbe ἀάω, qui signifie autant ‘frapper d’une calamité, causer un m­alheur, troubler l’esprit’ que ‘rassasier’ (d’où ἄατος ‘funeste’, mais aussi ‘insatiable’).

[76] Cfr., p. ex., Pi. P. 2.93 (φέρειν δ’ ἐλαφρῶς ἐπαυχένιον λαβόντα ζυγόν/ ἀρήγει); A. Ag. 218 (ἀνάγκας ἔδυ λέπαδνον), 1071 (εἴκουσ’ ἀνάγκῃ τῇδε καίνισον ζυγόν); Parm. B8.30-31 (μὴ κρατερὴ γὰρ Ἀνάγκη/ πείρατος ἐν δεσμοῖσιν ἔχει, τό μιν ἀμφὶς ἐέργει), B10.5-7 (εἰδήσεις δε καὶ οὐρανὸν ἀμφὶς ἔχοντα/ ἔνθεν ἔφυ τε καὶ ὥς μιν ἄγους’ ἐπέδησεν Ἀνάγκη/ πείρατ’ ἔχειν ἄστρων), etc.

[77] Cfr. A. R. 2.17-18: εἰ δ᾽ ἂν ἀπηλεγέοντες ἐμὰς πατέοιτε θέμιστας,| ἧ κέν τις στυγερῶς κρατερὴ ἐπιέψετ᾽ ἀνάγκη; cfr. 3.429-431, 4.555-556 et 1389-1390, etc.

[78] Cfr. Il. 19.415-416; Hes. Th. 268-269.

[79] Cfr. 2.431-432: ὅσσον ἄπωθεν ἤλασαν.

[80] Si l’on admet le rapprochement morphologique et sémantique entre ὅρκος et ἕρκος ‘enceinte, enclos, barrière’, dans le sens de ‘défense, clôture’ (LSJ s.u. ἕρκος, GEW s.u. ἕρκος). C’est l’étymologie d’ὅρκος la mieux attestée chez les Anciens (Eustathe, EM s.u.). Selon Hiersche 1958, 39 ‘ἕρκος signifie ‘barrière, en­ceinte, muraille; domaine, cour; défense, protection; filet, lacet’. Le sens fondamental est donc: ‘ce qui enferme, ce qui forme une enceinte’, d’où ‘en­ceinte, fermeture’; d’autre part ‘ce qui entoure, enveloppe, retient et lie’, d’où ‘filet, lacet’. Ce rapprochement peut se décliner en ‘prison’ (ὁάνη, cfr. les gloses d’Hésychius: ὁρκάνη· είρκτή, δεσμωτήριον; ὅρκμον· φράγμα; ὅ· δεσμοὶ u ‘lien’, voire ‘lacet, filet’, ‘scellé’ (ὅρκμον) ou bien, au pluriel, ‘liens, scellés’ (ὅρκοι) ou ‘liens d’un scellé’: le jurant appelle, par son serment, une puissance magique qui le tient enserré [*ἕι] jusqu’à l’accomplissement de sa promesse, et le poursuit, s’il prononce un parjure. Sur le serment sur l’eau du Styx, muraille circulaire qui entoure le monde et qui, assurant l’ordre cosmique, lie les dieux à leurs serments, cfr. Bollack 1958, en spéc. 24-25: «La muraille qui contient cette ‘eau du Styx’ est à l’image du grand lien qui enserre l’univers et ne laisse au jurant aucun refuge, elle est un petit ὅρκος».

[81] Ce mouvement de demi-tour est mentionné aussi par Sophocle, fr. 713 Radt: ἀπενώτισαν ‘tourner en arrière, rebrousser chemin en courant, tourner sa course en arrière’, cfr. Suda s.u. νωτίζω: τὰ νῶτα μεταστρέφω. Aussi Soph. OT 193: παλίσσυτον δράμημα νωτίσαι, et Eur. Andr. 1142: πρὸς φυγὴν ἐνώτισαν.

[82] Les Boréades rejoignent le camp des Argonautes (2.427-434, «fondant du haut du ciel, ils posèrent leurs pieds rapides sur le seuil [de la demeure de Phinée]» [κατ᾽ αἰθέρος ἀίξαντε οὐδῷ ἔπι κραιπνοὺς ἔβαλον πόδας]) et Zétès «encore tout haletant de fatigue et essoufflé» narre leur poursuite contre les Harpies, en apportant deux éléments nouveaux: la mention de l’effroi ressenti par les Harpies et la localisation de leur antre dans le Dicté (αἱ δ᾽ ὑπέδυσαν δείματι Δικταίης περιώσιον ἄντρον ἐρίπνης).

[83] Cfr. Arg. 2.196, 452 et 496.

[84] Dans ce même esprit de célébration des valeurs nouvelles, de l’émergence de nouvelles réalités et de nouveaux espaces, Callimaque salue la fondation d’une ville siciliote en illustrant l’idée de nouveauté par le motif des «brises». Cfr. Call. fr. 43 Pf. 40-42: «[…] les heures automnales qui (?) avec les brises apportent toujours les choses nouvelles (νέα)».

[85] En effet, il a été montré dans de nombreux travaux récents combien les espaces géographiques et paysagers sont importants pour la construction de l’idéologie du nouvel ordre et du nouveau regard sur le monde dans les Argonautiques, création reflétant d’une manière singulière la vision géographique et cartographique du monde alexandrin.