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Art du monde technologique: Écrire du sensible avec et par les ‘data’
Art of the technological world: Writing about sensitivity with and through data
AusArt, vol. 10, núm. 1, pp. 249-262, 2022
Universidad del País Vasco/Euskal Herriko Unibertsitatea


Recepción: 15 Marzo 2022

Aprobación: 12 Mayo 2022

DOI: https://doi.org/10.1387/AusArt.23522

Résumé: L’objectif de cet article est de proposer une étude quant au concept de ‘l’écriture numérique’ à travers quelques œuvres artistiques. Nous souhaitons démontrer que l’écriture numérique est plus que présente par son matérialisme digitale. Elle nous enseigne que l’écriture par et avec les machines nous sensibilise à adopter une autre démarche quant à nos connaissances sur l’histoire de l’écriture. Reprenant des arguments et des concepts existants, nous souhaitons enseigner que l’art du monde technologique est un enseignement pour appréhender l’existence de l’écriture sans les humains.

Mots clés: ECRITURE NUMERIQUE, DONNEES, MACHINES, NON-HUMAINS.

Abstract: The objective of this article is to propose a study of the concept of .digital writing’ through some artistic works. We wish to demonstrate that digital writing is more than present by its digital materialism. It teaches us that writing by and with machines makes us aware of the need to adopt a different approach to our knowledge of the history of writing. Taking up existing arguments and concepts, we wish to teach that the art of the technological world is a teaching to apprehend the existence of writing without humans.

Keywords: DIGITAL WRITING, DATA, MACHINES, NON-HUMANS.

1. Écrire du sensible à partir ‘des données massives

1.1. Art du monde technologique: réfléxivité du sensible

“L'art est une écriture et doit donc être lu. Mais lire ne consiste pas seulement à décoder le sens des signes”1 (Gielen & Bruyne 2012, 124)

Facilité par le développement des nouvelles technologies, d’internet et des réseaux sociaux, le ‘big data’ ou les ‘données massives’ prennent un poids toujours plus important en augmentant les données textuelles, photographiques ou numériques. Cette représentation du monde par les données incite à réfléchir à l’écriture du monde technologique. L’ubiquité du numérique a prouvé récemment des changements sur les fonctions cognitives, sur nos modes de déplacements et sur les modalités de sentir et du ressentir (Goody 1977). Peindre le monde des nouvelles technologies questionne la présence même de l’écriture. Tandis que certains artistes et chercheurs mettent en retrait toute médiation technologique, d’autres intègrent le numérique pour sensibiliser aux transformations induites. Les artistes se trouvent à créer en présence d’un monde alphanumérique, passant d’une fenêtre hors-écran à un hors-écran-décentralisé. Le numérique force une matérialité sur les écrans, dans les réseaux et dans les systèmes binaires (Bachimont 2007, 3).

L’hyperactivité de l’écriture — spécifiant l’ère numérique — n’est nullement nouveau. Pourtant, nous relevons des points singuliers de d’autres modes de réflexions et paradoxalement l’émergence de besoins anciens tout en les réinterprétant. Maurice Merleau-Ponty dans L’œil et l’esprit souligne qu’en peignant “l’instant du monde”, le peintre Paul Cézanne “rend visible” (1945). Merleau-Ponty explique l’acte de peindre comme un prolongement de l’artiste lui-même dans une “réfléxivité du sensible” entre l’individu sentant et ce qui est senti (1945 [2012], 6). En rapprochant la pensée de Goody et de Merleau-Ponty, nous détectons à présent que le processus de l’écriture participe possiblement à une expérience du sensible. Écrire du sensible à partir ou avec des données numériques questionnent un processus d’écriture qui ne constituent pas forcément des lettres, mais des flux d’informations.

L’ Art du monde technologique nous éveille à l’incidence et à une écriture en ‘eau trouble’. Nous entendons par ‘Art du monde technologique’ une réflexion à dépasser la notion ‘d’art numérique’ pour une critique et une prise en considération des développements technologiques. Les inventions technologiques du XXe siècle nous ont lassé croire que l’écriture était vouée à une disparition pour laisser place à d’autre formes d’existence— sonore et audiovisuel. En comparaison, nous pouvons méditer sur les mots de Turing “mécanisme et écriture sont de notre point de vue sont presque synonymes” (cité dans Petit & Bouchardon 2017). Effectivement, trois inventions structurent l’histoire graphique de l’humanité:

  1. 1. l’écriture de la langue ou l’écriture née au IVe millénaire avant J.-C à Sumer
  2. 2. l’écriture des nombres avec la monnaie frappée vers 620 avant J. -C
  3. 3. l’écriture du code avec l’écriture numérique — née une première fois avec l’écriture informatique ( 1936 puis 1948) et une seconde fois avec l’écriture réticulaire.

Cette prise de considération nous invite à intégrer la continuité physique entre l’écriture de la langue et celle des nombres qui semble inexistant dans le cas de l’écriture avec le code. L’Art du monde technologique tend à proposer une omniprésence de l’écriture —textes, algorithmes, images ou vidéos— et axe notre raison sur l’existence d’une machine plurielle et complexe. Herrenschmidt (2007) développe ce trouble par la présence d’un outil “né par et pour le calcul” mais également que “la machine écrit et écrit tout”. Au-delà d’intérêt anthropologique ou sociologique, l’art du monde technologique nous fait prendre conscience que l’interprétation de l’écriture relève d’un anthropocentrisme constitutif et “accompagné d’une série d’a priori métaphysiques: idée de sujet, idée de je pense” (ibid.). L’écriture n’est pas nécessairement produite par un être humain.

1.2. L’écriture numérique ou écrire d’après les machines

Au cours de la seconde moitié du XX. siècle, Jacques Derrida et Roland Barthes identifient le paradigme de l’écriture. Tandis que Derrida se penche pour une écriture comme ‘trace’ qui déjoue “l’opposition de la présence et de l’absence”, Barthes la positionne comme “inter-textualité qui ouvre le sujet sur ce que nous nommerons aujourd’hui ‘l’écriture hypertextuelle’” (cité dans Petit & Bouchardon 2017). Selon Anne-Marie Christin (2012), l’écriture est ambivalente, à la fois trace et signe et “l’indice immanent […] d’une référence qui lui serait essentielle, mais dont elle ne pourrait que porter le deuil”. C’est une possibilité de s’écarter de l’écriture dite humaine puisque le mot écriture en chinois wen, témoigne une définition non humaine de l’écriture (Petit & Bouchardon 2017).

L’œuvre How to turn code into art d’Aram Bartholl réutilise les traces d’un malware2 (Bartholl 2011; CCC 2011). Chaos Computer Club (CCC), organisation influente de hackers en Europe, déjoue ce même malware illégal du gouvernement allemand. En publiant des extraits en fichiers binaires, cinq pages sont rendus accessibles et ce, entièrement. L’artiste visibilise la traçabilité de tout écrit numérique liant chaque donnée à une métadonnée ou à “chaque contexte d’énonciation […] à une trace décontextualisée” (Petit & Bouchardon 2017). Les ordinateurs ne sont pas que des outils de communication, mais des outils de pensées. Bartholl n’attendra pas en disant sur son blog (2011) que “votre code peut être de l’art!”3. Au delà, du dévoilement ou de la transparence des données, nous percevons également une survivance à la gestualité de l’abstraction. Un contexte technologique est écrit par des codes et un langage particulier constitués de traces, de signes et de transformations de données.

Le concept de la trace se décroche de l’écriture de l’auteur pour s’attacher à celle de la machine. Derrida compare l’écriture à la production d’une trace qui égalise le fonctionnement d’une machine à écrire sans cesse:“Null n’entrera dans ces lieux s’il a peur des machines et s’il croit que la littérature, la pensée peut être, doit, n’y ayant rien à voir, exorciser la machine” (Derrida 1973, 354).

La trace n’est pas nécessairement écrite par un être humain et elle n’est pas intentionnelle. Tout peut devenir ’trace’: une action ou un événement. Avant toute chose dans un cadre numérique, la trace produit de l’information. En télescopant le code, Bartholl remet en avant le manque de définition de la ‘trace numérique’ (Galimon & Zlitni 2013, 16). Son étude est récente par les sciences de l’information et la communication. Des tentatives, de manière éparses, existent. Elles tendent de chercher les traces sous les signes et ce par des ‘traces d’usages’ (Petit & Bouchardon 2017). Dans la recherche de Bartholl, nous trouvons également des discussions quant à l’écriture de “signaux informationnels explicites” et “les traces comportementales implicites”:des signaux sans traces et des traces sans signaux (Cardon 2015).

L’être humain ne produit jamais le signe. Les inscriptions qui l’entoure peuvent être considérées comme des caractères, des lettres ou la somme d’un encodage en bit. Elles peuvent être impossibles à écrire et à lire par des êtres humains. En tant que ‘signe’, l’écriture est toujours matérielle et en relation avec autre chose et inhumaine. Une inhumanité qui se lie davantage à ‘préhumaine’ que ‘posthumaine’ puisque la notion d’être humain est une conséquence de cette écriture: “le langage lui-même n’est pas une invention de l’homme, mais un virus qui infecte les êtres humains et qui s’en sert comme réceptacle pour se reproduire” (Dyens 2012).


Figure 1

Bartholl. Aram. 2011. How to to turn code into art. 87 × 65 cm

https://arambartholl.com/how-to-turn-code-into-art/

L’expression ‘écriture numérique’ s’apparente à un pléonasme technique. Via un monde dit numérique, l’expression présente une variation langagière informatique, mais rappelle le calcul informatique dérivé de l’écriture de la langue et des nombres. L’histoire des médias mérite d’être abordé par l’histoire de l’écriture “comme des ‘machines textuelles auxquelles on accède et que l’on manipule à travers et par l’écriture’” (Petit & Bouchardon 2017, 135). l’écriture est à la fois objet et outil des médias informatisés. Effectuer l’analyser de ces médias relève d’une étude hybridée de pratiques d’écritures et de lectures. Chaque média naît et se meurt dans la transformation d’un autre média.

2. Écriture, matérialisation et flux

2.1. Esthétique de la matérialité

L’écriture s’apparente à ‘quelque chose’ qui tient une place ‘matériellement’ quelque part. Au moment de la réalisation d’une lettre par exemple, celle-ci est de l’écriture. Ce quelque part nait de l’action de l’écriture. Autant la feuille de papier, le carton, ou toute autre forme décrit que “le support n’est qu’un après-coup de l’écriture” (Vitali-Rosati 2020). Tout forme peut prétendre être support dès que quelque chose y est inscrit. Dérivé du latin texere, la définition de l’écriture portée à la notion de texte, nous emmène à étudier le ‘tissage des relations’ entre des inscriptions et la forme du texte. Le texte est une écriture organisée et une série de relations entre des éléments scripturaux indépendants. Le corps et l’esprit de l’écrivain font parties prenant des outils d’écriture. Katherine Hayleys nous suggère pour comprendre nos machines à écrire, de partir de la matérialité du support, de l’écriture incorporée, de la matière comme métaphore, et de la technique comme texte. L’écriture numérique est matérielle et parler d’une esthétique de la ‘matérialité’ revient à aussi reprendre le plaidorie d’un ‘matérialisme digital’ proposé par Gregory Chatonsky (2017; Bouchardon 2014; Hayleys 2002).


Figure 2

Schéma d’après l’explication de Petit et Bouchardon sur l’écriture numérique.

Un livre peut prendre la forme d’un texte — si ses lettres sont des inscriptions ou des écriteaux—ou un ensemble de livre— intertexte— ou tout simplement deux mots. L’écriture numérique détient une propriété de la manipulabilité algorithmique qui déplace “la frontière entre ce qui est inscrit et ce qui ne l’est pas” (Jeanneret & Tardy 2007, 206-7). Sa manipulabilité suppose une double coupure: sémantique et matérielle (codage binaire indépendant du support et le pas de sens ou d’interprétation propre) et joue sur la trace lue (support de restitution) et la trace inscrite (support d’enregistrement).

L’écriture numérique joue sur trois niveaux:

  1. - Le premier présente l’écriture numérique comme théorique et discrète, en tant qu’une écrite par la machine. C’est un niveau électronique de l’implémentation matérielle: “le niveau où le code rencontre la machine” (Petit & Bouchardon 2017). C’est la matérialité de la technique

  2. - Le deuxième explique l’apprentissage du code pour l’intérioriser: écriture informatique ou écriture du code. Sachant qu’il est possible d’écrire sans maîtrise le code binaire. C’est le niveau du logiciel et de la manifestation par les application ou ‘écriture pour les machines’. C’est la syntaxe de la technique.

  3. - Le troisième est le niveau d’interaction ou ‘écriture avec les machines’. L’usage de l’écriture techno-esthétique de l’interface sensorielle et motrice. La technique est comme une matière, la technique est comme un code ou un art (Bates 2006, 1033-45).

2.2. “De la civilisation du rectangle”

Selon la formule de Roland Barthes ‘la civilisation du rectangle’ correspond aux formes de nos livres de l’éditoralisation d’une civilisation du libre mais aussi du “du livre lu, du livre écrit, de l’écriture et de la lecture” (Barthes 1970; Vitali-Rosati 2020). La pensée oscille constamment dans l’informée de l’écriture. Elle fait échos à cette critique de l’hégémonie de la pensée sauvage et figure aussi comme un lieu de l’ensauvagement imaginaire —du grimoire manuscrit, aux formules cryptiques d’un monde alphanumérique.

L’œuvre My Google search history d’Albertine Meunier (2011), extrait du web de Google un contenu pour le rendre disponible sous forme matérielle. Meunier évoque des pratiques de limitations d’interventions à un simple travail organisationnel de découpage et rappelle le travail de l’archiviste entre une tension de conservation, interprétative et classification. L’œuvre n’est pas moins l’archive d’un quotidien résultant d’un archivage de l’archive d’un quotidien. C’est un déploiement d’une pensée critique de la récolte de nos données. L’œuvre n’est pas facilement lisible. Elle reste cryptée de part une apparence plus logorrhée que narrative. C’est une inscription de chaine de code. L’œuvre soulève des questions autant sur nos usages de moteurs de recherche que notre expérience du présent. Que raconte ces données du passé de notre présent? Qu’est ce que le présent pour la lecture des machines? Quelles traces et signes laissons nous sur le web? Quelles pratiques du savoir et d’écriture avons-nous à l’heure du numérique?

Aujourd’hui l’écriture des machines n’est pas que d’ordre technique ou sémiologie mais aussi mercantile. Mesurer la matérialité des écritures alertent les artistes comme Meunier. À l’heure du Big Data, passer sous un format livre ou à une page imprimée, est une sorte d’étalon de prise de conscience de la quantité des données. Parler en nombre de pages ou de livre aide à l’esprit humain d’avoir une représentation concrète de ce que représente un poids d’un octets. Passer au format papier est une visualisation pour l’imaginaire.

Ce travail d’épuisement du lecteur, du fait de la lecture cryptique, rappelle que le lecteur ne peut que survoler la globalité de ces données sans jamais pouvoir avoir un regard attentif sur chacune des pages. ‘Google’ paraît comme un ‘hyperobjet’ qui nous englobe plus que nous l’englobons (Morton 2013)4.


Figure 3 et 4

Meunier, Albertine. 2011. My Google Search History. Ouvrage

ttp://archiverlepresent.org/fiche-de-la-collection/my-google-search-history-0

2.3. Espace numérique comme forme d’écriture à l’écriture du flux

Compte tenu du contexte technologique des données, nous ne devons pas restreindre l’écriture uniquement au texte ou au support imprimé. L’écriture est une inscription graphique qui fait appel à de nombreux éléments visuels entre pictogrammes et idéogrammes: traits, appuis, couleurs etc (Christin 1999).

Searching for Ulysses, de Fabien Hocco, présente une pièce en installation en réseau. La pièce matérialise l’ouvrage de James Joyce Ulysse à travers le style du réseau Twitter. Le texte d’origine est lu automatiquement, un mot toutes les vingt-cinq secondes. À chaque nouveau mot lu, un programme recherche sur le réseau social l’équivalence du dernier message contenant le même mot. Le tweet saisi vient s’afficher à la suite du précédent. Un palimpseste éphémère proche du cut-up s’accumule par le programme informatique. Cette œuvre présente un regard sur l’écriture dans un cadre hors-écran-décentralisé. Comment l’écriture joue avec une décentralisation des supports. Pour redire, l’espace détient du numérique car l’ensemble de relations entre les choses existent et est un ‘espace de raccordement’ entre tous les autres espaces (Cavallari 2018, 89).

Le hasard ne semble pas anodin, si Hocco a choisi comme source d’inspiration Ulysse, de James Joyce (1922). Connu pour être écrit en tant qu’insertions de flux de pensées, le récit de Joyce croisent les rencontres et les multitudes de détails et la sensation d’un labyrinthe. Joyce a écrit un espace numérique ou éventuellement un “cyberespace de tweets, de réseaux sociaux”. Cet ouvrage s’approche du hors-écran car il laisse libre la notion de ‘flux’ (Gervais & Guilet 2011). Cette esthétique repose sur l’utilisation de systèmes et de dispositifs informatiques qui forcent l’internaute à se perdre dans la contemplation d’un flot d’images, de sons et de mots que le cyberespace et son encyclopédie dynamique animent et rendent accessibles (Rouillé 2005).

De quoi est fait cet espace? D’écriture bien entendu et il se nourrit d’environnement culturel artistique soutenu par Internet en tant qu’infrastructure technologique. Hocco propose un travail sur la traduction.La pratique d’écriture est inclue —passer d’un texte d’une langue à une autre— mais avant tout il dessine une pratique culturelle constituée de traductions, de textes, d’œuvres ayant migré d’une culture à une autre, confrontée à une diversité langagière culturelle et formelle. Gervais et Guillet expliquent que “ce ne sont pas la temporalité ou encore la stratification […] mais le déploiement, la coprésence sur un même territoire” qui font figures (Gervais & Guillet 2011). La présence d’hyperliens, l’architecture d’Internet implique une spécialisation et une individualisation des connaissances et des savoirs. Ce par quoi Deleuze résume une personne comme un flux. La relation est une écriture de flux (Deleuze & Guattari 1971).


Figure 4

Hocco, Zocco. 2013. Searching for Ulysses. Programme sur ordinateur et connexion réseau.

3. Cœxistance des cosmologie écrites et orales

L’écriture numérique remet en cause la représentation du langage, aujourd’hui dominante, comme moteur de communication. Communiquer revient à transmettre des informations. Le contraste entre l’oralité et l’écriture émerge de deux paramètres de l’intériorité et de l’extériorité et active un fonctionnement paradoxal (Ong 1982; Goody 1977). La parole orale (intérieur, subjective) présente les caractères de l’extériorité qui est adréssée à un interlocuteur ou un public. L’écriture favorise quant à elle, l’intériorité de la conscience. Par son œuvre How to code (2011), Bartholl explique que “peu de gens peuvent lire et comprendre le code; il est donc important de le communiquer, d'en discuter en public et d'en faire un art !”5. Il serait plutôt lieu d’étudier le fonctionnement de la pensée, mais également ce que Goody a parlé d’une pensée sauvage de la langue. Cette remarque démontre que l’esprit humain ne peut produire sans aide extérieur. Il s’aide d’une technologie intériorisée. La technologie nouvelle n’a pas fait disparaitre la politique de l’oralité primaire. Notre contemporanéité rend compte d’une oralité endormie et refoulée, qui survit par les mécanismes de l’écriture. Cette même écriture ne désigne par qu’un accessoire de la parole, mais une performance inédite (Derrida 2001; Ong 1982; Goody 1977). Les médias informatisés ramènent par le même procédé d’écriture numérique les textes, les arts et les pratiques de l’image, les sons de la musique et la voix frémissante.

Le langage écrit ou oral ne crée par un processus neutre de transmission, mais une technicité qui emprunte l’architecture des relations entre la réalité et les autres consciences. Si nous utilisons le langage comme instrumentalisation, il en est privé de sens. La langue s’imbrique dans les interstices de l’esprit et des choses. Elle les attache et les distribue. Les artistes qui produisent des formes de cette technique, héritent finalement de la ‘pensée sauvage’ de Lévi-Strauss (1962). Le ‘bricolage’ fait survivre la culture de l’oralité et de l’écrit. Se dégager du cercle de l’oralité et de l’écriture est chose impossible. Les deux sont intrinsèquement liés: “Nous n’utilisons pas le langage, mais sommes utilisés par celui-ci” (Dyens 2012, 64).

Conclusion

Écrire avec ou à partir de machine ne fracture pas l’historialité de la langue. Les données produites par l’écriture numérique et dans cet écosystème du Big data, rappellent qu’existent simultanément l’oralité et l’écrit. L’humain hérite d’un langage et non l’invente. L’art du monde technologique questionne l’esthétisme matérielle de l’écriture numérique: comment écrire avec un machine? La somme de données doit dépasser la simple production d’informations pour une écologie des relations au-delà de toute pensée ethnocentrique ou de tout relativisme culturel. Les traces ou les signes ne sont pas forcément écrites que par l’humain, mais par un ensemble de flux de données.

Mettre l’accent sur les dispositifs, interroge les effets sur les modes de pensées, les modes de relations à soi aux autres et au monde. Dès lors que les artistes questionnent la sensibilité des données, c’est avant tout notre rapport à la technicité, aux mots et aux choses qu’ils mettent en avant.

Les références

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Cardon. Dominique. 2015. À quoi rêvent les algorithmes. Paris: Seuil

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Notes

[1] ”Art is writing and is therefore to be read. Reading however is not just about decoding the meaning of signs. Reading has to come to terms with the fact that it will never be possible to determine the meaning of the world once and for all”.
[2] Utilisé par la police allemande, ce malware servait à espionner la population.
[3] “Your art could be art”.
[4] L’hyperobjet chez Morton, revient à aborder des phénomènes paradoxaux. La difficulté des les percevoir ou des les appréhender, favoriser l’intuition en passant directement à la raison sans médiation et entendement.
[5] “Only few people can read and understand code it is so important we communicate it, discuss it in public and make it art!”.


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